Juste avant Noël dernier, la municipalité d’Oka adoptait le Règlement 2020-223 (le règlement) citant la Pinède « patrimoine municipal », une forêt fréquentée depuis plusieurs générations par nos deux collectivités. D’une superficie de près d’une centaine d’hectares, le territoire cité est composé d’un parc public municipal (enclavant mais excluant le golf et le cimetière mohawk) et d’une forêt privée. Nul doute que c’est un patrimoine collectif, source d’identité et de détente, du reste de notoriété mondiale depuis « la crise d’Oka ».
Mais bien que la Pinède soit une source commune d’identité et de fierté, chacune des deux communautés entretient une relation très différente avec la terre, l’histoire, la spiritualité, et c’est ce qui rend d’emblée l’adoption du règlement « patrimoine municipal » de la Pinède un sujet sensible.
Ce nouveau règlement ajoute un pouvoir de contrôle quasi total et d’autres restrictions sur un territoire déjà complètement rezoné « conservation » depuis près d’un an, rezonage qui fut accepté sans aucune controverse. Mais Il vient aussi bouleverser les droits ancestraux et la relation sacrée des Mohawks ancrés dans cette forêt. Enfin, le règlement vient inutilement complexifier le projet de faire de la partie privée de la Pinède une Aire Protégée de Conservation Autochtone (APCA), déjà approuvé par le Fédéral. Alors pourquoi ce règlement de surprotection?
Une intention discutable qui ignore et s’oppose à des droits reconnus et protégés
Vous comprendrez que dans ce contexte je m’interroge sur l’intention réelle derrière le règlement.
On peut comprendre aussi que la communauté Mohawk reçoit ce règlement comme un geste provocateur, discriminatoire, anti-réconciliation, une violation de droits reconnus et protégés :
-Les mohawks d’Oka ont des titres et des droits ancestraux sur ce territoire reconnus par le Fédéral, qui a admis une faute fiduciaire.
-Ces droits, bien que non absolus, sont protégés par la Constitution canadienne et vont avec les obligations qu’ils impliquent, notamment celle de consulter adéquatement et de bonne foi les Mohawks de Kanesatake.
-La Pinède est un territoire non-cédé et toujours revendiqué faisant l’objet d’une revendication territoriale particulière qui traine depuis plus d’une dizaine d’années.
-C’est le lieu où s’est déroulée « la crise d’Oka » et avec lequel la communauté voisine entretient une connexion sacrée.
Mise à risque de la paix sociale et frais judiciaires payés par les Okois
Dès son annonce, le projet de règlement a fait l’objet d’une mise en demeure demandant de ne pas aller de l’avant. À peine adopté, la municipalité d’Oka et la province de Québec se retrouvent poursuivies en Cour supérieure par les Mohawks qui demandent d’annuler le règlement.
Précisons que contrairement à ce que mentionne l’article du 28 janvier dernier dans L’Éveil, ni le gouvernement fédéral, ni moi-même comme propriétaire foncier sommes poursuivis. Notre assignation dans cette demande en justice est celle de « mis-en-cause » et non de « défenderesses », ce qui veut dire en clair que nous n’avons qu’un rôle de tiers, mais que notre présence est jugée nécessaire pour amener à une solution complète de la demande en justice.
En plus des frais juridiques, il y a les risques que peut générer un dérapage si le sentiment de justice recherché par la communauté Mohawk n’est pas satisfait. N’y avait-il pas d’autres avenues que de provoquer jusqu’à se confronter devant les tribunaux? La chose en vaut-elle le coût et les risques?
Une entente signée qui ouvre au Fédéral une nouvelle voie de solution à Oka
Depuis 2015, et notamment suite aux manifestations de 2017 contre la fin du développement immobilier au Domaine des Collines, j’ai choisi d’entreprendre un dialogue avec la communauté Mohawk voisine. C’est ainsi que le Conseil de Bande de Kanesatake (CBK) et moi-même sommes engagés dans un dialogue approfondi pour apaiser les tensions croissantes qui inquiétaient notamment les résidents des Collines, faire avancer la réconciliation dans nos communautés et attirer l’attention du gouvernement fédéral sur d’autres possibilités dans la région d’Oka.
Et c’est dans un esprit de réconciliation active qu’en juin 2019, j’ai signé avec le Grand chef Serge Otsi Simon une entente dite « Déclaration de Compréhension Mutuelle » à être approuvée par la communauté de Kanesatake, portant sur deux actions concrètes. La première action concerne un projet de conservation pour la partie de la Pinède m’appartenant, dans le but d’en faire la toute première Aire Protégée de Conservation Autochtone (APCA) au Canada, créée via un don écologique. Un financement pour réaliser ce projet a été approuvé l’an dernier par la Ministre d’Environnement et Changements Climatiques Canada.
Il faut souligner que ce statut d’APCA ouvrirait l’accès à une panoplie de ressources pour véritablement protéger cette forêt et en valoriser le potentiel. Par ailleurs, parce que réalisé dans le cadre de programmes fédéraux de conservation, cela garantit aux deux communautés le maintien des services écologiques fournis par ce territoire puisque son acceptation par la communauté Mohawk implique l’obligation de conservation à perpétuité. Je suis convaincu qu’avec de l’ouverture nos deux communautés réussiront à faire de ce projet un cas exemplaire de conservation et de réconciliation.
La seconde action est un moratoire sur le développement de mes terrains vacants disponibles dans la région d’Oka et leur mise-à-disposition pour le gouvernement fédéral dans leur négociation en cours avec Kanesatake et toutes parties ou gouvernements qu’ils jugeront utiles pour résoudre leur contentieux territorial.
«Avoir signé cette entente dans mon dos c’est un peu croche, et ce, autant de la part de Grégoire Gollin que de la part du Grand chef Simon», indiquait Pascal Quévillon à L’Éveil. Bien sûr qu’il aurait été préférable que la Municipalité collabore à cette entente. Mais sa non-reconnaissance des droits de nos voisins, un prérequis à tout dialogue, nous a forcés à agir ainsi.
Pas de réconciliation possible sans reconnaissance des droits
Le rejet du maire Quévillon de l’idée que les Mohawks ont des droits à Oka rend les intérêts des deux communautés difficiles à réconcilier.
Pour preuve, ces récents propos publics du maire Pascal Quévillon :
-«Les revendications territoriales ne regardent pas la municipalité d’Oka. La seule chose que je peux vous dire, c’est que les Mohawks n’ont aucun droit ancestral au nord du Saint-Laurent, comme dans le cas d’Oka». Pourtant, le Fédéral reconnaît ces droits.
-«Nous n’avons aucune obligation de les consulter». Pourtant, la Constitution et la Cour suprême du Canada ainsi que les lois internationales sur les peuples autochtones le reconnaissent: c’est une obligation légale et morale.
-«Qu’ils restent dans leur carré de sable et nous dans le nôtre, et tout ira bien». Sans commentaires.
-«Ce dossier n’est pas de compétence municipale, ni provinciale et encore moins de monsieur Gollin et lorsque tout le monde va comprendre cela, la tension va diminuer».
Veut-il dire que la municipalité d’Oka, la province de Québec ou un citoyen n’a aucune légitimité d’intervenir dans un dossier parce que le gouvernent fédéral détient la solution définitive et complète? Rien n’a été réglé à Oka depuis la crise de 1990, justement parce que trop souvent les autres juridictions ont pelleté le dossier dans les seules mains du Fédéral, pour la même raison qu’invoque le maire. Au contraire, je crois que tout citoyen peut avoir un rôle actif pour résoudre le contentieux territorial dans notre région, car la réconciliation n’est pas seulement une compétence gouvernementale; c’est une responsabilité collective et un devoir individuel.
C’est par une meilleure compréhension des droits reconnus à la communauté voisine et des injustices qu’elle a subies durant 150 ans de colonialisme que le Conseil municipal pourra s’engager dans un dialogue constructif dans l’intérêt supérieur de ses citoyens.
Si chacun met l’épaule à la roue plutôt que des bâtons dans la roue, cela va non seulement réduire la tension mais aussi nous faire avancer vers un avenir meilleur, pour nous et nos générations futures.
Grégoire Gollin
Propriétaire de la partie privée de la Pinède
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