En novembre dernier, et pour une 15e année d’affilée, les habitués du Salon du livre de Montréal ont pu croiser le kiosque de Joey Cornu, modeste maison d’édition qui occupe une seule pièce dans la résidence de Claudie Bugnon, à Lorraine, d’où ont émergé une vingtaine d’auteurs, jusqu’ici, lesquels ont apposé leur nom sur 51 publications.
Modeste, c’est le mot utilisé par Claudie Bugnon elle-même, qui en rajoute: «Je suis un microéditeur et je n’ai pas peur de le dire. Je n’ai pas une grosse production annuelle (environ quatre titres publiés pour quarante manuscrits reçus) puisque j’encadre de jeunes auteurs qui ont besoin de plus d’accompagnement et que j’implique dans toutes les étapes de l’édition.»
Éditrice et couveuse
Voilà donc la particularité de Joey Cornu qui cultive cette vocation de publier des auteurs dont l’âge varie sensiblement de 14 à 24 ans. C’est là son véritable créneau, bien qu’une collection parallèle, appelée Joey & Jim, édite quelques auteurs plus âgés, dont notre ancien collègue Luc Proulx (et elle-même, sous le pseudonyme Jim Cornu).
Plus est, la raison sociale de Joey Cornu porte la mention «couveuse pour jeunes auteurs» , un mandat que s’est donné cette ancienne conceptrice publicitaire qui défend posément sa position et qui réfute, avec une conviction tranquille, toute critique à l’effet qu’à cet âge-là, on n’ait pas le vécu ou la maturité requises pour prétendre à ce titre. On est plus enclin, par exemple, à applaudir un jeune pianiste virtuose qu’un écrivain dont le talent se révélerait précocement.
«Beaucoup de gens pensent qu’il faut avoir une barbe et des lunettes pour se dire écrivain. J’estime que chaque âge a ses particularités et que l’adolescence est la période la plus créative de la vie. On bouille, on a besoin d’être entendu. Je leur offre une tribune pour s’exprimer» , dit-elle, en définissant ainsi son rôle de couveuse: «Parce qu’ils sont peut-être plus vulnérables, il faut les aborder d’une façon constructive, leur faire comprendre les réalités du monde de l’édition.»
Parce qu’il faut demeurer réaliste: 98 % des auteurs doivent gagner leur vie autrement. D’excellentes œuvres passent souvent sous le radar. Mieux vaut le savoir plus tôt que tard, on aura beau y mettre toute la passion et la rigueur voulues, l’exercice de l’écriture mène rarement au succès. Une fois qu’on a compris tout ça, si l’on décide de continuer, si le désir d’écrire et de communiquer demeure intact, Claudie Bugnon veillera au grain, déployant toutes ses compétences pour aider le jeune auteur à s’épanouir, ce qui signifie accepter le fait qu’un premier jet n’est pas une œuvre achevée, qu’il faut demeurer ouvert à l’idée de modifier, de biffer, d’ajouter, de réécrire, bref, faire confiance et se remettre au travail. «Je leur cite souvent ce philosophe qui disait qu’il faut savoir résister à la séduction du premier choix. On peut toujours faire mieux» , dit-elle.
Participer à quelque chose
Et de quoi parlent-ils, en fait, ces jeunes auteurs? «Mais de tout!» , répond Claudie Bugnon qui, après avoir lancé un premier appel, il y a quinze ans, a vu sa boîte aux lettres submergée de manuscrits portant des genres aussi variés que la science-fiction, le roman historique ou le récit de voyage, bref, un éventail de propositions qui témoignaient et témoignent toujours d’un désir manifeste de communiquer une passion.
Parmi ceux-ci, un jeune prodige du nom de Frédéric Tremblay, dont le tout premier titre, Une ruse inversée, lui a valu, en 2008, le prix Cécile-Gagnon décerné par l’Association des écrivains québécois pour la jeunesse à l’auteur d’un premier roman. Le jeune homme n’avait alors que 14 ans, et il a fallu que son éditrice conteste le règlement signifiant qu’il fallait avoir au minimum 18 ans, pour participer au concours.
En 2005, par ailleurs, Joey Cornu publiait un collectif de 32 jeunes auteurs au terme d’un concours débouchant sur la réalisation d’un bouquin intitulé Le Québec en 2025, dont la préface était signée Bernard Landry. Parmi ces jeunes auteurs, se trouvait un certain Christian-Guay Poliquin, qui vient de remporter, pour son roman Le poids de la neige, le Prix du Gouverneur général, le Prix France-Québec et le Prix littéraire des collégiens.
«Quand je vois où mes jeunes auteurs sont rendus, je me dis que j’ai participé à quelque chose, à la confiance qu’ils ont développée en eux, à leur capacité de s’exprimer» , cite humblement Claudie Bugnon, qui continue de croire en ce qu’elle fait, malgré toute la résistance que lui opposent le milieu littéraire et le monde de l’édition, en dépit du fait, également, qu’elle n’a jamais droit aux subventions dont bénéficie la concurrence, parce que le fait de publier de jeunes auteurs «n’est pas une contribution signifiante» , une remarque qui rend Claudie Bugnon pour le moins amère. «On n’a pas compris que les jeunes auteurs peuvent avoir une voix différente. Pour ma part, je considère encore que je fais quelque chose d’utile» , maintient la couveuse, qui jouit tout de même d’une crédibilité auprès des libraires.
À la recherche d’auteurs, Joey Cornu? Oui, mais pas nécessairement. «Je cherche des lecteurs!» s’exclame Claudie Bugnon, qui conçoit bien que l’un ne va pas sans l’autre. Si vous souhaitez participer à cette rencontre, à cet échange crucial auteur/lecteur, sachez que la couveuse déploie tous ses charmes sur le site [http://joeycornu.com].
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