En octobre 1993, Alain Boivin, ayant tout juste soufflé sa 18e bougie d’anniversaire, s’envolait pour Sarajevo, équipé d’un casque bleu et du « goût de l’aventure ». Trente ans plus tard, cet ancien militaire devenu policier pour la Ville de Saint-Eustache est retourné en Bosnie afin d’y tourner un documentaire.
En compagnie de son ami vidéaste, le policier Jean-Sébastien Levan, il a été capter des images à Sarajevo, puis à Visoko, avant de se rendre à Mostar, pour conclure à Srebrenica.
L’histoire de ce policier de Saint-Eustache débute en février 1992, alors qu’il effectue son premier cours de recrue de fantassin dans le Régiment de la Chaudière de l’Armée canadienne. Il n’a que 16 ans. Un an et quelques mois plus tard, après avoir amassé de l’expérience en tant que réserviste au sein du Régiment, on lui propose de s’envoler pour la Yougoslavie. « J’ai levé ma main », explique M. Boivin. « C’est là que notre aventure a commencé. »
« Théâtre de guerre »
Établi à Srebrenica dans le Royal 22e Régiment en compagnie de quelque 150 autres militaires en Bosnie-Herzégovine actuelle, son régiment s’assurait notamment de défendre un village de dizaines de milliers de Bosniaques désarmés, sur fond d’un cessez-le-feu. « Srebrenica est devenue, malgré elle, puisqu’elle est proche de l’actuelle Serbie, victime des masses de réfugiés qui se déplaçaient du nord vers le sud », explique M. Boivin.
Une ville construite pour abriter quelques milliers de personnes s’est donc retrouvée dans l’obligation d’en accueillir 20 fois plus. « Quand on est arrivé, ils estimaient qu’il y avait entre 50 000 et 55 000 personnes. C’est un village, Srebrenica. C’est vraiment petit, mais on se retrouve avec beaucoup de gens, et ces gens-là ne peuvent pas sortir de la ville », détaille le policier de Saint-Eustache.
Il était responsable, avec son régiment, d’assurer la paix entre les Serbes et les Bosniaques, amassés dans le petit village de Srebrenica. « On exportait les convois dans la ville, on veillait à ce que les Serbes ne rentrent pas plus dans la ville, et on veillait à ce que les rapports [restent pacifiques]. On savait que ça marchait, parce que tout le temps qu’on a été là, la ville est restée dans cet état. Les Serbes n’ont pas fait ce qu’ils auraient aimé faire. Ils n’ont pas fait ce qu’ils ont fait un an et demi après notre départ à nous », se confie l’ancien militaire.
En juillet 1995, ce sont 8 000 hommes et adolescents bosniaques de la région de Srebrenica qui ont été massacrés par des forces serbes. Les 400 casques bleus néerlandais sur place n’ont pu qu’observer le génocide, impuissants. Une nouvelle difficile à comprendre à l’époque. « Je n’avais pas d’expérience. J’avais des bons amis, j’avais un bon cercle social autour de moi. J’avais une bonne tête à la base aussi pour essayer de comprendre tout ça, mais ça m’a quand même marqué, ça m’est toujours resté dans la tête », explique-t-il.
Pourquoi y retourner ?
Pour le vidéaste Jean-Sébastien Levan, la demande de son ami de longue date de réaliser un documentaire en Bosnie était tout le moins surprenante. « Sachant que lui s’était rendu comme casque bleu en Bosnie au début des années [1990], j’ai comme compris assez rapidement de quoi il s’agissait. J’ai embarqué tout de suite dans le projet », explique M. Levan. « Ce n’était pas la première fois qu’on tournait des trucs ensemble, donc je savais que ça se passerait bien. »
« À la base, c’était, oui, un voyage entre amis, mais c’était aussi un endroit qui m’intriguait », poursuit le caméraman. « En allant là-bas dans le but de tourner quelque chose qui allait probablement raisonner dans la tête de bien du monde, ça m’a enthousiasmé un peu plus. De savoir que des carnages comme ça se sont produits, des génocides littéralement, ça marque l’imaginaire. C’est ce que je veux rapporter. Je veux que les gens voient ce que les [Bosniaques] sont devenus après avoir vécu une épreuve aussi dure que celle-là. »
« La réponse est un peu bizarre », dit pour sa part Alain Boivin. « C’était juste pour aller voir si, à la limite, je n’avais pas rêvé à ça. Ce que tu vis là-bas, c’est tellement surréaliste, c’est tellement une expérience marginale, tellement contrastante avec tout ce que tu connais, qu’un moment donné, elle prend fin, tu reviens, comme si tu te réveillais, et tu fais de l’hypervigilance dans ton lit à revivre tout ça. »
Mais au-delà de la simple vérification, M. Boivin voulait également le faire pour ses amis dans l’armée. « Moi je le fais d’abord pour mes chums militaires, pour les encourager. Les encourager, eux aussi, à retourner là-bas. Si cette idée-là vous a déjà passé par l’esprit, allez-y, ça va vous faire du bien. C’est ça mon message. C’est aussi de mettre l’emphase sur le fait que lorsque les militaires reviennent, ils vivent des affaires. Ça ne paraît pas, mais ils vivent des choses, et ils peuvent les porter longtemps sans que ça paraisse. »
La sortie du documentaire, qui sera intitulé « Rendez-vous à Srebrenica », est prévue pour 2023. Quelques scènes doivent d’ailleurs encore, d’ici là, être tournées. Pour ce faire, Alain Boivin a bien l’intention d’y retourner. « Tout n’a pas été dit », conclut-il.
Pour obtenir des mises à jour du tournage, les intéressés peuvent se rendre sur la page Facebook créée par les deux hommes à cet effet, nommée « Tournage en Bosnie 2022 (Rendez-vous à Srebrenica) » : www.facebook.com/profile.php?id=100086116161992.
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